Les Saints Déserts
La fondation du premier saint Désert des Carmes déchaux est due à l’intuition d’un jeune religieux de la deuxième génération du Carmel thérésien, Thomas de Jésus (Diaz Sanchez, 1564-1627). Ayant découvert les écrits de sainte Thérèse de Jésus pendant ses études à l’Université de Salamanque, il rejoignit les frères déchaux où il fit profession le 4 avril 1587. Il parle ainsi de lui-même dans un récit autobiographique rédigé à la troisième personne (1615):
“Le Père Fr. Thomas de Jésus est un profès de la Congrégation d’Espagne. Après sa profession, il se sentit particulièrement appelé à la vie solitaire et contemplative. Sa Règle primitive n’étant faite exclusivement que pour des ermites, il désirait vivement que soient fondés alors quelques couvents comme avaient fait nos anciens Pères sur le Mont-Carmel où ils vivaient dans des ermitages séparés, vaquant, jour et nuit, à l’oraison et à la contemplation sous l’obéissance d’un supérieur, ce qui est la plus sûre garantie et à la fois le fruit de la vie érémitique.”
Dans le projet que Thomas de Jésus présenta alors aux supérieurs de l’Ordre, il n’était pas question de proposer un nouveau type de vocation à l’intérieur du Carmel réformé mais d’offrir à ses religieux un temps de désert afin de se laisser renouveler dans leur vocation contemplative pour mieux se dévouer ensuite à la mission apostolique de l’Ordre. Il prévoyait des séjours d’un an avant de revenir à la vie ordinaire des autres couvents.
Le premier saint Désert fut fondé dès 1592 à Bolarque (diocèse de Tolède). Il fut ainsi le premier d’une longue série. Aujourd’hui le saint Désert Notre-Dame de Pitié de Roquebrune-sur-Argens est l’un des derniers témoins de cette longue et belle tradition…
Plan type d’un Saint Désert des Carmes déchaux (1651)
Instruction spirituelle pour ceux qui pratiquent la vie érémitique, par Thomas de Jésus (1626) – extraits du Prologue
C’est un grand et inestimable bienfait que la divine miséricorde confère à ceux qu’Elle daigne appeler à la sainte vie d’ermite, dans notre saint Ordre; il y a là, en effet, un indice et un signe manifeste que Dieu veut les faire avancer dans son service et les combler de grandes grâces et faveurs. Ceux qu’il s’est déjà choisis et qu’il a séparés du monde, il les cache dans la solitude, dans ce but surtout et à cette fin que non seulement ils ne soient pas attachés à l’amour du monde, mais qu’ils ne voient même pas cette corruption mondaine qui, tout comme le basilic, empoisonne ceux qui osent le regarder. […]
Certes, Dieu pourrait s’entretenir avec l’âme et la disposer à recevoir les paroles de la vérité divine, même au milieu du bruit des cités mondaines; mais ce serait là une voie extraordinaire de la puissance absolue de Dieu. Selon la disposition ordinaire de sa providence, Dieu retire d’abord de l’Égypte et cache dans la solitude l’âme avec laquelle Il désire converser plus familièrement et lui découvrir les intimes secrets de son cœur; là, en effet, dégagée de toute occupation et sollicitude, plongée dans le silence, l’âme ne peut pas ne pas entendre les paroles divines, que Dieu adresse au cœur des justes et qui ne sont jamais perçues que dans la solitude et le silence.
Par ces entretiens intimes remplis de doctrines divines et de célestes directions, Dieu fait pénétrer l’âme, en très peu de temps, dans de nombreux secrets, et l’instruisant dans la pratique des saintes vertus, la purifie des erreurs et déceptions des vanités mondaines et des affections terrestres, et l’élève aux splendeurs des choses célestes et à la connaissance des perfections divines. […]
Beaucoup d’autres merveilles, ou pour mieux dire, ces mêmes merveilles, Dieu les opère pour ceux qui dans la sainte solitude de la vie érémitique se dirigent vers la patrie des divines promesses. Pour eux, en effet, Dieu fait tomber suavement dans la profondeur de leur cœur, la manne des divines consolations et d’une douceur prodigieuse, et il rafraîchit l’intime de leur âme par la jouissance très délectable des biens célestes. Sur cette montagne très élevée de la solitude anachorétique, dans le secret d’une obscure contemplation, Dieu trace du doigt de sa puissance pour l’âme solitaire, comme pour un autre Moïse, les tables de la loi, la sainte doctrine des commandements, et le parfait accomplissement de sa volonté, non pas sur des tables de pierre, mais dans leur cœur de chair.
(Thomas de Jésus, Instruction spirituelle pour ceux qui pratiquent la vie érémitique, Collection Eremos -3, Éditions du Carmel, Toulouse, 2009)
Les ermitages du désert Notre-Dame de Pitié édifiés par les camaldules