Histoire du Carmel

Histoire du Carmel

L’Ordre du Carmel trouve ses racines dès l’Ancien Testament, avec le prophète Élie que les carmes ont reconnu comme leur père ; et avec la Vierge Marie, mère et reine du Carmel. Mais c’est au XIIIe siècle que l’histoire commence.

1. Les origines

    Les premiers frères carmes sont d’anciens croisés regroupés en ermites sur l’un des versants luxuriants du mont Carmel, près d’une source associée à la mémoire du prophète Élie. On sait très peu de choses sur cette période palestinienne qui commence pendant le dernier quart du XIIème siècle. Ces latins rapidement dénommés « Frères ermites de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel » s’inscrivent dans une longue et riche tradition biblique. Leur première église est dédiée à la Mère de Dieu. Dès le début, leur charisme apparaît comme élianique et « tout entier marial ». Ils vivent sur le modèle des laures byzantines, leur habitat articulant des éléments érémitiques (cellules séparées)  et communautaires (oratoire).

    Entre 1206 et 1214 et à leur demande, le patriarche Albert de Jérusalem (ancien chanoine régulier de saint Augustin) leur rédige une « formule de vie » que le pape Grégoire IX confirmera en lui octroyant le statut officiel de règle (1229). Le texte, très beau en sa concision, est un canevas de citations scripturaires et consacre les grands thèmes suivants : vie sous la dépendance du Christ, pauvreté, solitude, prière continuelle, travail et, surtout, combat spirituel. Son précepte central est la méditation jour et nuit de la « Loi du Seigneur » dans la solitude de sa cellule. En 1247, Innocent IV y introduira quelques éléments communautaires et permettra aux frères de passer des lieux déserts à la proximité des villes.

    L’idéal de fécondité ecclésiale des Carmes est calqué sur l’attitude de la Vierge de l’Annonciation. Quelques siècles plus tard, une des premières carmélites, la Bienheureuse Françoise d’Amboise (+ 1485), exprimera cette intuition fondamentale du carmel médiéval : « La Bienheureuse Vierge Marie, enclose en sa chambrette, séparée de la conversation mondaine, humble, pure et dévote, en oraison et contemplation élevée et persévérante, (mérita) être amie et mère de Dieu ».

    2. L’arrivée en Europe (XIIIe s).

    La seconde moitié du XIIIe siècle est un temps de reflux pour les Francs établis en Orient. Les Sarrazins reprennent leurs anciens territoires de Terre Sainte. Dès 1235 et profitant de retours de croisades, les Carmes réintègrent leurs patries d’origine. Ils fondent des « déserts » d’abord en Sicile, en Provence, en Angleterre. Lors de la chute de Saint-Jean d’Acre (1291), fin du Royaume latin de Jérusalem, ils se répartissent en 150 fondations essentiellement européennes,  dont 50 en France et 30 en Angleterre.

    À cette période de déracinement s’ajoute une grave et douloureuse crise d’identité. Lorsque les Carmes traversent la Méditerranée, l’Église latine travaille à se réformer et entend mettre fin à la prolifération d’ordres religieux nouveaux. Le statut original des religieux du Mont-Carmel ne milite pas en leur faveur en un temps où il n’est pas facile de cadrer les ermites. Qui plus est, ils viennent d’un Orient jugé mystérieux.

    Le concile de Latran IV, en 1215, avait interdit la fondation de nouvelles familles religieuses. Le deuxième de Lyon (1274) entérine ces mesures drastiques et supprime beaucoup d’instituts, obligeant leurs membres à se rattacher aux plus anciens. On n’ose pas toucher aux Carmes, fondés avant 1215, mais leur sort reste suspendu à un avenir incertain. Par étapes successives,  tout au long de la deuxième moitié du XIIIe siècle,  l’Église finit par les aligner sur les trois grands Ordres Mendiants qui connaissent un vif succès depuis Latran IV et occupent l’espace dégagé par les suppressions de 1274. En 1326, le Pape d’Avignon Jean XXII leur octroie les mêmes privilèges que les Franciscain, Dominicains et Augustins. C’est la fin du long processus d’assimilation des Carmes à la catégorie des Mendiants. Désormais, leur genre de vie intégrera des tâches apostoliques tout en gardant un attrait marqué pour le silence et la solitude des origines érémitiques. Dès lors, action et nostalgie du désert caractériseront l’âme carmélitaine.

    3. Le développement (Moyen Âge : suite).

    Un événement à la portée considérable va marquer l’histoire des Carmes. En 1251, selon la tradition, la Vierge Marie apparaît à saint Simon Stock, général de l’Ordre. Face à la menace qui pèse sur sa famille religieuse, le saint se tourne vers la « Reine et beauté du Carmel ». Celle-ci lui tend un scapulaire (partie de l’habit religieux recouvrant la poitrine et le dos) comme signe de protection et gage de pérennité. Avec le temps, le Carmel sort de la précarité. Il s’impose comme ordre marial et suscite un grand mouvement de dévotion populaire, au même titre que les Dominicains, propagateurs du rosaire. Les confréries de Notre-Dame du Mont-Carmel et du Scapulaire se multiplient.

    Une fois rattachés aux Mendiants, les Carmes poursuivent leur développement pour atteindre en France, à la fin du XIVe siècle, le nombre d’environ 130 fondations. Ce chiffre demeurera assez stable jusqu’à la Révolution. Les héritiers des premiers ermites du Mont-Carmel sont désormais pleinement reconnus et respectés. Comme tous les autres ordres religieux, ils vont toutefois connaître les vicissitudes des temps. La Guerre de Cent Ans (1337-1453), le grand Schisme d’Occident (1377-1417), sans oublier les impressionnantes épidémies de peste (dont celle de 1348), bouleversent la société et en fragilisent toutes les structures. L’Église et les religieux ne sont pas épargnés et traversent une période de déclin.

    Le bienheureux Jean Soreth (1395-1471), élu Supérieur Général en 1451, va s’attacher à donner un nouvel élan à l’ordre du Carmel. Il préconise un retour à l’observance stricte de la règle, favorise toutes les initiatives de renouveau et, surtout, avec l’aide de la bienheureuse Françoise d’Amboise, duchesse de Bretagne (1427-1485), dote sa famille religieuse d’une branche féminine – les carmélites – en 1452. A cela s’ajoute la création d’un Tiers-Ordre pour les laïcs en 1455.

    4. La Réforme de sainte Thérèse.

    Au moment où le bienheureux Jean Soreth travaille à consolider l’Ordre apparaissent des mouvements de réformes répondant à des initiatives locales. Les quatre principaux s’étalent sur trois siècles. Ils ont pour caractéristiques de s’étendre dans une aire géographique limitée et de ne durer qu’un temps. Encouragés par les Supérieurs Généraux, ils se développent généralement à l’intérieur des structures mêmes de l’ordre du Carmel. C’est le cas de la Réforme de Mantoue (Nord de l’Italie et Suisse, seconde moitié du XVe siècle), de celle d’Albi (Sud de la France et région parisienne, XVIe siècle) et de celle de Touraine (France, XVIIe et XVIIIe siècles).

    Seule la réforme de sainte Thérèse (1515-1582), pour des raisons liées au contexte religieux espagnol, rompt avec le tronc principal de l’Ordre du Carmel pour constituer une branche nouvelle appelée à perdurer. Elle commence avec la fondation du carmel de Saint-Joseph d’Avila le 24 août 1562. Ce monastère revient à l’esprit primitif de la règle (silence, solitude, étroite clôture). Il renouvelle ses observances en matière de pauvreté, de vie communautaire et de prière selon un idéal fortement ecclésial.  Il fait aussi le choix d’effectifs réduits et d’un style de vie dépouillé. A sa mort, sainte Thérèse laisse 17 fondations pleinement approuvées et encouragées par les supérieurs du Carmel. Dès 1567, elle associe saint Jean de la Croix (1542-1591) à son œuvre et l’étend aux Frères, si bien qu’une province réformée est constituée en 1581. Du point de vue institutionnel, Carmes et carmélites « Déchaussés » (c’est là leur dénomination officielle) acquièrent une autonomie complète et sont érigés (1593) en un nouvel Ordre, sans pour autant abandonner l’esprit carmélitain des origines. Saint Jean de la Croix était mort depuis deux ans. L’Église approuvait ainsi cette forme de vie religieuse organisée par sainte Thérèse où tout a pour but de favoriser l’oraison. 

    5. Expansion de la Réforme thérésienne en Europe et en France.

    La vigne plantée par sainte Thérèse va étendre ses pousses dans toutes les directions et, parfois, supplanter le Carmel d’Antique Observance. Les six premières provinces des Déchaux d’Espagne et de ses colonies (Carmes et Carmélites) se détachent en 1600 des autres territoires du monde pour constituer deux Congrégations (Ordres) autonomes : celles d’Espagne et d’Italie, chacune étant gouvernée par un Général distinct. Après les ravages des révolutions d’Europe, ces deux entités seront unifiées en 1875 au profit de celle d’Italie.

    Grâce aux Mères Anne de Jésus (1545-1621) et Anne de Saint-Barthélémy (1549-1626), collaboratrices et compagnes de sainte Thérèse, la Réforme thérésienne passe en France en 1604 puis en Belgique en 1607 et de là rayonne dans toute l’Europe. Entre 1617 et 1761, 24 provinces de Carmes Déchaux sont érigées au sein de la Congrégation d’Italie, dont les 7 premières en 1617 (Gênes, Rome, Pologne, Lombardie, Avignon et Flandres). La France en comptera 6 (Avignon 1617, Paris 1635, Aquitaine 1641, Bourgogne 1653, Normandie 1686 et Lorraine 1740). La Congrégation d’Espagne en comptera 10, toutes supprimées lors des Guerres carlistes (1835-1839).

    La France, sous l’Ancien Régime, compte environ 60 couvent de Carmes Déchaux (et 133 de Grands Carmes). Les Monastères de Grandes Carmélites ne sont que 6 (En Bretagne et dans les Ardennes) et donc très minoritaires face aux 77 fondations de Déchaussées (dont 76 entre 1604 et 1668).

    Toutes ces maisons sont supprimées en 1792 puis relevées pour la plupart au XIXe siècle. Les Carmes en 1839, grâce au Père Dominique de Saint-Joseph, espagnol (1799-1870). Du côté des Carmélites Déchaussées, 51 des 77 monastères d’Ancien Régime sont restaurés au XIXe siècle. Auxquels il convient d’ajouter 87 fondation nouvelles jusqu’en 1901. Un record est atteint en 1948, avec 139 monastères de carmélites. En 2022, il en reste 58. Les Grands Carmes devront attendre 1989 pour revenir en France.

    6. L’Ordre du Carmel dans le monde d’aujourd’hui.

    La Révolution française, les guerres d’Empire et les grands bouleversements européens du XIXe siècle ont profondément modifié les structures de l’ordre carmélitain. Le XXe siècle, sous bien des aspects, a été une ère de restaurations et de reconstruction calquée sur le magnifique élan missionnaire de l’Église. Presque toutes les provinces anciennes, après avoir été supprimées au XIXe siècle, ont été relevées sur des bases territoriales souvent modifiées.

    Jusqu’au XVIIIe siècle, la Congrégation « Saint-Elie » (dite d’ « Italie ») de l’Ordre des Carmes Déchaux a compté quelques missions prestigieuses en Inde et au Moyen-Orient essentiellement (Irak, Iran, Liban, Syrie et Terre Sainte). Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les Déchaux se tournent aussi vers l’Afrique et l’Extrême-Orient (Corée, Japon) où les fondations, promises à un bel avenir dans des pays aux forts taux démographiques, tendent à se multiplier depuis les années 60. Les maisons érémitiques que l’on nomme « Saints-déserts », et qui maintiennent un mode de vie proche de celui des premiers Carmes du XIIIe siècle, ont connu 25 fondations depuis 1592 dont 4 en France. Il n’en subsiste qu’une seule à Roquebrune-sur-Argens (Var, France).

    En 2022, les Carmes Déchaux sont environ 4 000 dans le monde, répartis en 52 circonscriptions dont 38 provinces ou semi-provinces (les Grands Carmes : 2 000). Leurs sœurs moniales, toujours bien plus nombreuses, sont environ 11 000 (les Grandes Carmélites : un millier). Les membres de l’Ordre Séculier (ou « Tiers-Ordre » selon la terminologie traditionnelle) connaissent un bel essor puisqu’ils atteignent le chiffre de 25 000 (environ un millier pour la branche de l’Antique Observance).

    66 congrégations apostoliques de spiritualité carmélitaine se rattachent aux Carmes Déchaux dont quelques une remontent au XVIIIème siècle (elles se limitent à 3 pour les Grands-Carmes).